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Chapitre 14.  Le Maroc face aux al�as de l'histoire

Bloc-notes - Fragments

Dans l'essai biographique qu'Abou Bakr Kadiri a consacr� � la vie et aux activit�s de Sa�d Hajji dans les domaines politique, culturel et journalistique, l'auteur a publi� au tome 1, pages 77 et suivantes, des fragments du bloc-notes de l'int�ress� et les a assortis du commentaire suivant:

"Sa�d avait un esprit d'une grande f�condit�. Ses activit�s �taient multiples et vari�es. Pendant qu'il m�rissait l'id�e d'un projet qui lui tenait au coeur, il ne perdait pas de vue les sujets culturels, objet de ses recherches permanentes. Les questions d'ordre politique l'incitaient � commenter les faits marquants de l'actualit� au fur et � mesure de leur d�roulement, comme s'il craignait d'�tre d�pass� par le flot des �v�nements qui se succ�daient � une cadence acc�l�r�e et de risquer de les oublier avec l'inexorable �coulement du temps.

C'est pour cette raison qu'on le voyait se retirer de temps en temps dans un lieu solitaire pour consigner, ne f�t-ce que de mani�re sch�matique, les �v�nements qu'il a v�cus ou qu'il a contribu� de pr�s ou de loin � fa�onner, si ce n'�tait pas pour �chafauder les grandes lignes d'un projet qu'il comptait t�t ou tard r�aliser. Il est regrettable que ce bloc-notes n'ait �t� tenu que de mani�re �pisodique. Je n'ai pu malheureusement en conserver que quelques fragments sur des feuilles �parses.

Mais, compte tenu de l'importance de la mati�re qui s'y trouve consign�e, mati�re �crite � chaud, enregistrant les principaux �v�nements du Mouvement National et les phases de la lutte men�e contre la politique coloniale de la France dans notre pays, il ne fait aucun doute que les quelques indications fournies dans les fragments de ce bloc-notes rev�tent le caract�ere de cr�dibilit� d'un v�ritable document historique".

A droite: Entrée principale de la Grande Mosquée de Salé construite au cours de la seconde moitié du XIIème siècle.- En face: Porte de la Médersa Abou El Hassan
A droite: Entr�e principale de la Grande Mosqu�e de Sal� construite au cours de la seconde moiti� du XII�me si�cle.- En face: Porte de la M�dersa Abou El Hassan
Grande Mosquée de Salé - Cour intérieure
Grande Mosqu�e de Sal� - Cour int�rieure
Le patio de la médersa Abou El Hassan, du nom du Sultan Mérinide qui l'a construite en 1335 p.c.
Le patio de la m�dersa Abou El Hassan, du nom du Sultan M�rinide qui l'a construite en 1335 p.c.
  • Fragments de notes concernant la p�riode du 16 au 22 juillet 1930
    • Mercredi 16 juillet 1930

      Il ne s'est produit ce jour rien de nouveau sinon que les nouvelles en provenance de F�s et d'ailleurs font �tat de l'extr�me gravit� de la situation en ce sens que les masses populaires ont pris conscience du danger que repr�sentait la mise en oeuvre du nouveau dahir pour l'unit� linguistique et religieuse du pays.

      La jeunesse de Sal� a tenu une r�union � laquelle a particip� Elyazidi. Il a �t� d�cid� au cours de cette r�union qu'une d�l�gation se rende le lendemain matin � Rabat pour se renseigner aupr�s du Directeur des Affaires Indig�nes,Mr Benazet, sur le sort d'Abdellatif Sbihi.[6]

    • Jeudi 17 juillet 1930

      Les membres de la d�l�gation de Sal�, qui �tait compos�e de Mohammed Chemao, Abdelkrim Sabounji, Kacem Hassar et Abdelkrim Hajji, se sont rendus au courant de la matin�e du 17 juillet aupr�s du Directeur des Affaires Indig�nes qui leur a r�serv� dans son bureau un accueil chaleureux et empreint de courtoisie. Lorsqu'ils l'ont interrog� sur le sort d'Abdellatif Sbihi, il leur a demand� de s'entretenir d'abord avec eux sur la question berb�re. Ils ont compris � travers son expos� qu'il cherchait � justifier la position de la France � l'�gard de l'Islam et � soutenir que son pays appr�ciait et respectait notre religion et faisait tout son possible pour sa conservation. Il leur a conseill� de suspendre le mouvement de protestation jusqu'au retour du Sultan, et leur a promis - promesse de gascon - sur l'honneur qu'il mettra tout en oeuvre pour soumettre cette question � l'�tude. L'entretien n'a gu�re d�pass� les limites de l'habilit� politique qui a permis au Directeur des Affaires Indig�nes de d�former la r�alit� comme bon lui semblait. Il a dur� plus de deux heures au cours desquelles les principaux probl�mes d'ordre politique et religieux ont �t� abord�s.. Les membres de la d�l�gation se sont vus offrir de hautes fonctions en contrepartie de leur acceptation d'arr�ter le mouvement de protestation et de soutenir le gouvernement dans son action.

      En ce qui concerne Abdellatif Sbihi, Mr Benazet a fait savoir � ses interlocuteurs qu'il allait �tre d�f�r� devant le pacha de Marrakech, puis il s'est r�tract� en disant que l'inculp� allait devoir r�pondre de ses agissements devant les autorit�s comp�tentes, et que le motif de son �loignement �tait dict� par les atteintes graves � l'ordre public provoqu�es par le mouvement de protestation que l'int�ress� aurait initi�. Il semble, � en juger par ses propos, que le Gouvernement du Protectorat ne sait pas quelle d�cision prendre et qu'Abdellatif Sbihi allait �tre maintenu en exil � Marrakech pour une p�riode ind�termin�e.

      La nouvelle de l'entretien que les membres de la d�l�gation de Sal� ont eu avec le Directeur des Affaires Indig�nes s'est propag�e dans les deux villes voisines de Sal� et de Rabat, et del� elle s'est diffus�e � travers tout le Maroc. Elle a nourri de nombreux commentaires. Nous avions vraiment l'impression de nous �tre acquitt�s avec succ�s de la mission qui nous �tait impartie. Nous avons proc�d� � une vaste collecte de fonds pour subvenir aux besoins des pauvres apr�s la pri�re du vendredi, et nous avons ainsi cr�� un sursaut de conscience ainsi qu'un profond sentiment de solidarit�. Les initiateurs du mouvement �taient consid�r�s par la population, toutes classes r�unies, comme de v�ritables leaders politiques.

      La jeunesse fassie a arr�t� les voies et moyens pour enclencher le mouvement de protestation � F�s. Elle a charg� Abdeslam Elwazzani de prononcer un discours en son nom � l'issue de la pri�re du vendredi.[7]

    • Vendredi 18 juillet 1930

      L'opinion publique ne s'int�ressait plus qu'� un seul sujet, � savoir la question berb�re. La pri�re du latif a �t� dite dans 6 mosqu�es � Rabat. Des aum�nes ont �t� distribu�es dans certaines d'entre elles. A Sal�, le latif a �t� d�clam� dans l'enceinte de la grande mosqu�e, mais l'aum�ne a �t� dispens�e dans l'ensemble des mosqu�es de la ville, o� l'on a assist� � des sc�nes grandioses de solidarit�.

      Quant � la ville de F�s, elle n'a jamais connu pareille effervescence. Apr�s la pri�re traditionnelle, les fid�les ont �t� appel�s � se lever pour faire "la pri�re de l'absent". Puis, ils ont commenc� � clamer � l'unisson la pri�re du latif. L'orateur d�sign�, Abdeslam Elwazzani, est mont� au podium situ� en plein milieu de la mosqu�e. Il a �t� accueilli dans un enthousiasme d�lirant et ovationn� par une reprise impressionnante du latif. L'orateur a pu ensuite prononcer son discours qui �tait �maill� de mots d'ordre patriotiques ayant tous pour th�me la question berb�re. Il a proc�d� � une analyse exhaustive des clauses du dahir du 16 mai 1930 et mis en relief les dangers que faisait courir � notre patrie la mise en application d'un pareil texte de loi qui, sous couvert d'une pr�tendue r�organisation de la justice, visait en fait � substituer les coutumes berb�res ant�islamiques aux prescriptions du droit musulman qui s'appliquaient uniform�ment � l'ensemble des Marocains, qu'ils fussent d'origine arabe ou de souche berb�re. L'orateur a ensuite invit� la foule des fid�les � se rendre en masse au Mausol�e Moulay Idris, o� un nouveau discours a �t� prononc� par Sefrioui, suivi d'un commentaire des principaux th�mes de ce discours improvis� par Hachmi Filali. Les manifestants se sont ensuite dirig�s par petits groupes vers la maison du pacha et celle du gouverneur de la r�gion. En apprenant en cours de route que Sefrioui a �t� arr�t� sur ordre du pacha, ils se sont mis dans tous leurs �tats et se sont rendus en courant au domicile de ce dernier, mais il leur a �t� r�pondu qu'il s'agissait d'une fausse nouvelle. Au bout de quelque temps, Sefrioui a fait son apparition, venant de la ville et non pas de la maison du pacha. Les manifestants ont commenc� � se disperser. Mais au moment de quitter le domicile du pacha, une altercation a oppos� un jeune patriote � un agent du service d'ordre. Cette altercation s'est sold�e par un pugillat entre les parties en pr�sence, n�cessitant l'intervention du pacha, qui a convoqu� quatre jeunes et les a condamn�s � �tre fouett�s et jet�s en prison. Il a �t� ensuite proc�d� � l'arrestation d'une vingtaine de jeunes parmi les organisateurs de la manifestation. La ville de F�s a ainsi connu ce soir-l� un regain �norme de tension accompagn� de toutes sortes de rumeurs concernant l'intimidation de la population par la mise en oeuvre des mesures r�pressives dans toute l'�tendue de leur s�v�rit�.

    • Samedi 19 juillet 1930

      Dans la matin�e de ce samedi 19 juillet, la jeunesse de Sal� et celle de Rabat ont �t� inform�es que la m�re du leader Abdellatif Sbihi[8] se proposait de prendre la parole devant les jeunes �pris de libert� pour leur transmettre des messages de nature � stimuler leur fibre patriotique.

      Le soir, nous avions rendez-vous � la grande mosqu�e de Rabat pour la d�clamation du latif. A l'heure convenue, les gens de toutes les couches sociales y ont afflu� remplissant l'int�rieur de la mosqu�e malgr� ses grands espaces. Il a �t� proc�d� � une lecture du Coran qui invitait � un profond recueillement, puis le latif a fus� de toutes les poitrines des personnes pr�sentes.

      Nous nous sommes rendus ensuite chez la m�re d'Abdellatif Sbihi qui nous a r�serv� un accueil des plus chaleureux. Les jeunes de Rabat et de Sal� ont pu s'informer mutuellement des actions entreprises par les uns et les autres. A 18 heures, nous nous sommes rassembl�s dans l'enceinte du patio pour �couter le discours annonc� de la m�re d'Abdellatif dont nous reproduisons ci-dessous les grandes lignes:

      "Je vous souhaite une agr�able soir�e, mes enfants. Mon voeu le plus cher est de vous savoir tous en bonne sant� et d'apprendre de chacun de vous des nouvelles rassurantes le concernant. Comment avez-vous accueilli la nouvelle de l'arrestation d'Abdellatif? Pour ma part, je suis heureuse et fi�re de la lutte que vous menez pour la d�fense de notre patrie et de nos valeurs spirituelles. Que Dieu vous aide et vous assiste dans l'�preuve que vous traversez en renfor�ant votre potentiel de r�sistance ainsi que votre disponibilit� � servir votre patrie. C'est un bonheur pour moi que mon fils fasse partie de votre mouvement et qu'il ait �t� arr�t� pour la noble cause que vous d�fendez et pour laquelle je suis dispos�e � donner le meilleur de moi-m�me, quitte � me sacrifier, � sacrifier mes biens, � sacrifier mes propres enfants. dans l'int�r�t de notre ch�re patrie".

      "Mes enfants, Ne m�nagez aucun effort pour servir votre patrie et votre religion. Dieu est avec vous. N'ayez aucune crainte, sinon vous serez condamn�s � �tre victimes de tous les d�boires et toutes vos entreprises seront irr�m�diablement vou�es � l'�chec. Mourir pour sa patrie et ses valeurs spirituelles vaut infiniment mieux que de mener une vie d'humiliation et d'indignit�.N'ayez aucune crainte. Il n'y a qu'une seule mort, et les portes du paradis sont grandement ouvertes pour accueillir les combattants que vous �tes. Sachez que Dieu r�compense les hommes qui font preuve de patience. C'est sur Lui que vous devrez compter pour que la foi qui vous anime et l'attachement que vous portez aux valeurs qui sont les v�tres fassent triompher l'�quit� et la justice dans notre pays".

      Elle n'avait pas fini son discours que tous les visages �taient r�jouis et semblaient dire: Quel heureux pr�sage pour les Marocains d'avoir une telle femme qui fait honneur � l'�l�ment f�minin de leur pays. Fasse Dieu que les hommes s'inspirent de sa volont�, de sa d�termination et de sa foi sans lesquelles, ils seraient dans l'impossibilit� d'avoir l'�lan n�cessaire pour agir et accomplir leur destin.

      Le soir, de nouvelles rumeurs ont circul� au sujet de l'affaire de F�s. Mais la r�alit� est ce que nous avons consign� la veille.

    • Dimanche 20 juillet 1930

      Les nouvelles de F�s se sont propag�es de long en large � travers le pays, malgr� les efforts que nous avons d�ploy�s pour �viter de les �bruiter. Mais, il est somme toute r�jouissant de constater que leur diffusion a nourri aupr�s des masses populaires, en marge de la volont� dont les manifestants faisaient preuve, un regain d'activit�s doubl� de la ferme d�termination d'aller jusqu'au bout de leurs forces de r�sistance � l'oppression. Les gens n'avaient plus d'autre sujet de conversation que celui de l'h�ro�sme des Fassis. Ils nous reprochaient de ne pas leur tenir compagnie dans les geoles du pouvoir. Les m�mes sources nous apprennent que le peuple est toujours en �tat de r�volte, qu'il a dit la veille la pri�re du latif et n'a compt� aucune d�faillance dans les rangs des participants.

      En ce qui concerne la jeunesse de Sal�, elle a fait du porte-�-porte pour informer les commer�ants et les industriels que le latif sera dit � la grande mosqu�e apr�s la pri�re de l'Asser (aux environs de 16 h). A l'heure convenue, la mosqu�e �tait litt�ralement prise d'assaut par les manifestants dont le nombre �tait �valu� � plus de 4000. Par rapport � une ville comme Sal�, ce chiffre est pour le moins impressionnant. La pr�sence d'une tr�s grande d�l�gation de Rabat a �t� fort remarqu�e. La manifestation a commenc� par la lecture de quelques versets du Coran. Puis, apr�s la pri�re de l'Asser, diff�rentes supplications ont �t� adress�es � Dieu, suivies de la pri�re du latif qui a �t� reprise d'une seule voix par l'ensemble des personnes pr�sentes. Le texte de cette pri�re a �t� con�u par l'un des participants qui a improvis� � cette occasion un vers dont la rime du premier h�mistiche est le mot "latif" qui veut dire "mis�ricordieux" et celle du second h�mistiche "Abdellatif" qui veut dire "le serviteur de Dieu le mis�ricordieux". Ce vers qui associe un des qualificatifs de Dieu au nom du leader exil�, se pr�sente comme suit:

      Aie piti� de tes sujets, oh Dieu! oh Latif!
      Ordonne que soit lib�r� Abdellatif

      L'�cho du latif a retenti dans les quatre coins de la ville. A notre sortie de la grande mosqu�e, nous nous sommes rendus � la plage o� nous avons abord� des questions d'actualit� politique et sociale. Le soir, la jeunesse de Sal� s'est r�unie au domicile du No 75[9] en pr�sence d'Elyazidi et Abdellatif La�tabi.

      Plusieurs sujets ont �t� d�battus au cours de cette r�union. Mais la question qui dominait toutes les autres �tait le probl�me pos� par l'exil d'Abdellatif Sbihi. Le No 75 a propos� qu'une d�l�gation de jeunes de Sal� se rende dans les meilleurs d�lais � la Direction des Affaires Indig�nes pour s'enqu�rir aupr�s de Mr B�nazet du sort de l'exil�. Apr�s examen de cette proposition, elle a re�u l'aval du groupe. Un comit� a aussit�t �t� constitu� parmi les membres pr�sents, groupant Elyazidi, Chemao et Abdelkrim Sabounji.

    • Lundi 21 juillet 1930

      Une fatigue g�n�rale ayant contraint Abdelkrim Sabounji � garder le lit, seuls Elyazidi et Chemao se sont rendus aupr�s du Contr�leur Civil Chef de la R�gion de Rabat. Ils se sont longuement entretenus sur la question berb�re. Le probl�me pos� par l'exil d'Abdellatif a �t� au centre de l'entretien. Le Chef de R�gion a ensuite demand� � ses interlocuteurs de r�duire l'�tat de tension et les a assur�s que leurs demandes seraient prises en consid�ration - mais ce n'�tait malheureusement que des promesses d'un homme politique qui n'allaient aucunement �tre suivies d'effet -. A la fin de l'entretien, le Chef de R�gion leur a fait part de son intention de s'enqu�rir sur le sort d'Abdellatif aupr�s du Directeur des Affaires Indig�nes et leur a promis de les recontacter mardi pour les tenir inform�s des r�sultats de ses d�marches.

      Au courant de l'apr�s-midi, Chemao est all� voir le contr�leur civil de Sal� au sujet de la revue �gyptienne "Al Mousawar" que le gouvernement croyait � tort qu'elle �tait interdite depuis quelques jours.[10] Il a saisi cette occasion pour orienter la discussion sur la question berb�re. De l'entretien qui a dur� plus de deux heures, il a pu apprendre que le gouvernement �tait r�solu � amender l'article 6 du dahir du 16 mai 1930. Il est arriv� � cette conclusion apr�s avoir dit au contr�leur: " Ce matin, nous �tions Elyazidi et moi-m�me chez le chef de r�gion, et il nous a confirm� que le dahir allait �tre abrog� � notre enti�re satisfaction apr�s le retour du Sultan de son voyage en France" et que le contr�leur, qu'ils avaient mis dans l'embarras, leur a r�pondu: "Il n'est pas question d'abroger le dahir; seul l'article 6 en sera modifi�".

      Le contr�leur a �t� accul� � apporter cette pr�cision en pensant que c'est ce qu'a d� dire le chef de r�gion � ses deux interlocuteurs, et il en a d�duit que le gouvernement n'appr�ciait gu�re la punition du fouet qui a �t� inflig�e � la jeunesse fassie. Il a ajout� que la puissance protectrice n'appr�ciait gu�re les ch�timents corporels dont on lui imputait la cruaut� et la barbarie, et que probablement le gouvernement aurait rappel� le pacha de la ville � l'ordre au sujet de cette affaire.

    • Mardi 22 juillet 1930

      Il ne s'est rien pass� de nouveau au courant de cette journ�e. Tout �tait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Les gens ont commenc� � nourrir l'espoir que le dahir allait �tre abrog�. Le commandant de la r�gion a r�pondu � Elyazidi qu'il permettait � l'un des proches d'Abdellatif d'aller lui rendre visite � Marrakech et qu'il lui suffisait pour cel� de demander l'autorisation au contr�leur civil de la circonscription de Sal�. Par ailleurs, aucune nouvelle digne de foi ne nous est parvenue jusqu'� pr�sent de F�s. Il semblerait, selon certaines rumeurs incontr�l�es, que le gouvernement aurait essay� d'�largir Elwazzani, mais que celui-ci aurait refus� de sortir de prison avant que les autres d�tenus ne soient tous lib�r�s.

  • Fragments de notes concernant la p�riode du 4 au 22 juillet 1932

    Le groupe de F�s a d�cid� de comm�morer le jour anniversaire de la grande manifestation au cours de laquelle les jeunes manifestants ont �t� arr�t�s et bastonn�s sur ordre du pacha. Ils ont distribu� la veille des tracts rappelant � la nation le devoir de solidarit� qui s'�tait manifest� ce jour-l� et en ont affich� d'autres sur les murs de la ville. Cette action de distribution et d'affichage s'est limit�e � la seule ville de F�s. Parmi les jeunes qui se sont port�s volontaires pour mener � bien cette op�ration, il y avait Ibrahim Elwazzani que les services de s�curit� ont arr�t� "en flagrant d�lit" et conduit manu militari en prison o� il a �t� expos� � la torture depuis son arrestation jusqu'� ce jour. Il �tait fouett� pendant les interrogatoires pour qu'il d�nonce ses camarades qui �taient charg�s comme lui de la distribution des tracts. Mais il a fait preuve d'une grande force de caract�re et d'un courage � toute �preuve en refusant de livrer les noms de ses compagnons de lutte, ce qui a raffermi l'espoir et l'esprit de sacrifice dans les milieux de la jeunesse et les a renforc�s dans leurs convictions et leur attachement aux valeurs de libert� et de dignit� qui les animaient.

    A partir de ce jour-l�, F�s est devenue pareille � une ville en �tat de si�ge. Les sorties de nuit sont interdites � l'heure du couvre-feu. De nombreuses personnes ont �t� arr�t�es et accus�es pour des motifs insignifiants que rien ne justifiait. Le dispositif de contr�le a �t� renforc� dans tous les coins de la ville. Le moindre soup�on entra�nait l'arrestation des innocents qu'on tra�tait comme de banals suspects potentiels.

    A titre d'exemple, on peut citer le cas d'un chauffeur de taxi qui, pour avoir enfreint l'injonction d'un agent de police en ne s'arr�tant pas � son signal, �t� abattu � bout portant par le repr�sentant de l'ordre public au motif que l'int�ress� ne lui inspirait pas confiance. Le lendemain, les journaux locaux ont rapport� que le chauffeur de taxi aurait �t� surpris pendant qu'il escaladait le mur de l'Administration de la R�gion. Ils ont compl�tement d�form� la r�alit� pour couvrir le coupable et justifier l'acte criminel qui l'exposait � des poursuites p�nales. Le chauffeur de taxi est ainsi la premi�re victime du mouvement de protestation contre le dahir berb�re.

    Un autre exemple nous est fourni par la mesure d'arrestation que le gouvernement a prise de mani�re arbitraire � l'encontre de l'instituteur Bouchta El Jamii[11] qui donnait des cours aux �l�ves des �coles publiques et dont le crime qui lui �tait reproch� �tait de croire � l'id�al patriotique et de compter beaucoup d'amis � F�s. Il lui a �t� propos� un poste de secr�taire "adoul" dans sa localit�, mais il l'a refus� pr�f�rant la prison au march� de dupe qu'on lui faisait miroiter contre son �loignement de la ville de F�s.

    De retour � Sal�, je me suis enquis des �v�nements aupr�s de mes amis et j'ai pu apprendre qu'un embryon d'une association s'�tait constitu� et s'�tait engag� � entreprendre un certain nombre d'actions. J'ai �tudi� les voies et moyens pour parvenir � renforcer les assises de ce groupement qui a aussit�t avalis� les propositions que je lui ai faites. Nous avons convenu de tenir une s�rie de r�unions pour mettre au point un programme assorti d'un plan d'action que nous avons limit� dans un premier stade aux points suivants:

    Cr�ation d'une caisse nationale

    Etablissement de liens entre la jeunesse marocaine et l'�tranger

    Adoption d'un pacte national

    L'�tude du premier point que nous avons inscrit � l'ordre du jour de nos r�unions nous a permis d'explorer deux voies pouvant conduire l'une et l'autre � renflouer la caisse nationale que nous avons d�cid� de cr�er:

    Achat de livres et d'autres objets susceptibles d'�veiller l'esprit patriotique et leur mise en vente � des prix convenables afin d'alimenter la caisse nationale avec les b�n�fices r�alis�s.

    Incitation des membres actifs et des personnes des milieux ais�s � verser des dons mensuels. Nous avons dress� une liste exhaustive des donateurs potentiels, et chacun de nous s'est charg� de prendre attache avec les personnes de son entourage et de son cercle de connaissances.

    Au courant de la journ�e du 14 juillet 1932, nous avons appris qu'Elyazidi, Sbihi et Al Attabi ont �t� amnisti�s. Le soir, le p�re d'Elyazidi a re�u un t�l�gramme de son fils annon�ant son retour. L'�pouse d'Al Attabi a �galement �t� inform�e du retour de son mari. Ces nouvelles nous ont combl�s de joie. Le lendemain, Al Attabi et Elyazidi sont arriv�s respectivement � 3 heures de l'apr�s-midi et � 10 heures et demie du soir.

    Nous �tions dans l'ignorance totale des circonstances qui ont ainsi acc�l�r� l'�largissement de nos compagnons; mais lorsque nous nous sommes r�unis avec eux, ils nous ont inform�s que le contr�leur civil les a convoqu�s dans la matin�e du vendredi pour leur signifier qu'ils �taient libres de rentrer chez eux, et leur a montr� un t�l�gramme en provenance de la R�sidence G�n�rale de France � Rabat les amnistiant � l'occasion de la f�te du 14 juillet. Mais nous nous sommes assur�s par la suite que la mesure de lib�ration avait �t� prise non pas par la R�sidence G�n�rale, mais par le Gouvernement fran�ais. Les visites des parents et amis d'Elyazidi ont dur� 4 jours au cours desquels il nous �tait pratiquement impossible de nous r�unir en t�te-�-t�te avec lui.

    Une semaine apr�s leur arriv�e, ils se sont rendus aupr�s du contr�leur civil chef de la r�gion de Rabat qui leur a fait part de la joie qu'il avait de se r�unir avec eux. Mais, lorsqu'ils l'ont interrog� sur la question berb�re, il leur a r�pondu qu'il ne pouvait pas s'entretenir avec eux sur ce sujet et leur a fait savoir que le directeur des renseignements g�n�raux voulait les rencontrer mais qu'il a eu un emp�chement de derni�re minute, ayant �t� appel� d'urgence � la R�sidence g�n�rale. Un rendez-vous a �t� convenu pour le lendemain. Lorsqu'ils ont �t� re�us par le directeur des renseignements, qui les a fait attendre plus d'une heure apr�s l'heure convenue, il leur a montr� une sorte de disponibilit� � aborder avec eux l'�ventualit� de leur recrutement dans la fonction publique; et, s'adressant � Elyazidi, il lui a dit:

    Votre p�re n'est pas du tout tranquille � votre sujet.Vous avez besoin de beaucoup de repos et de stabilit�.

    Oui, c'est vrai, lui a -t- il r�pondu. Je compte prendre un � deux mois de repos

    Lorsque Elyazidi a d�vi� la conversation sur la question berb�re, le directeur des renseignements a essay� de lui donner l'impression que cette affaire ne rev�tait � ses yeux aucune importance; et chaque fois qu'Elyazidi revenait � la charge, son interlocuteur esquivait la difficult�.

    Mais, � force de patience, l'entretien a fini par prendre son cours normal; et le directeur des renseignements a d�clar� que le gouvernement du protectorat a promis aux Berb�res de tout mettre en oeuvre pour sauvegarder leurs us et coutumes, et qu'il n'�tait nullement question qu'il faille � ses engagements. Elyazidi lui a r�torqu� que les Berb�res avaient d'autres revendications que la conservation de traditions p�rim�es.

    L�-dessus, le directeur des renseignements a exhib� un document que Sa Majest� le Roi a soumis � ses sujets de souche berb�re leur donnant � choisir entre la justice du Cadi et celle de leurs assembl�es locales.

    Et Elyazidi de r�pondre: Comment se fait-il que les repr�sentants des tribus qui ont fait part au Souverain de leur volont� de rester soumis � la justice du cadi, ont �t� conduits en prison?

    Le directeur des renseignements, � bout d'arguments, lui a r�pliqu� que les repr�sentants de ces tribus manquent de stabilit� et viennent chaque jour avec de nouvelles dol�ances. Puis, il lui a laiss� entendre que le gouvernement n'accepte en aucune mani�re de se soumettre aux pressions populaires. Les Marocains, a -t-il ajout�, doivent faire preuve de patience; le Sultan va probablement amender lui-m�me le dahir, mais il lui est impossible de prendre une telle d�cision dans un climat de tension comme celui que nous vivons actuellement.

    Elyazidi a ensuite abord� la question de l'enseignement de l'arabe aux Berb�res, mais la r�ponse de son interlocuteur a �t� cat�gorique sous pr�texte que ce sont les Berb�res eux-m�mes qui refusent d'apprendre cette langue.

    En conclusion, on peut dire que rien de constructif ne s'est d�gag� de cet entretien et que le directeur des renseignements n'a fait que dissimuler les intentions v�ritables de la puissance protectrice. Nous sommes enti�rement persuad�s que m�me si l'Autorit� du Protectorat voulait modifier du jour au lendemain les clauses de ce dahir et par la m�me occasion sa politique berb�re, le directeur des renseignements n'aurait pas tenu un autre langage que celui qu'il venait de tenir devant Elyazidi. Sinon, il risquerait de se mettre dans une position de faiblesse et donnerait l'impression de manquer de fermet�

    A l'issue de l'entretien que notre ami Elyazidi a eu avec le directeur des renseignements G�n�raux, nous avons tenu une r�union pour �valuer la situation et arr�ter les modalit�s de notre action � venir. Malheureusement, les visites ininterrompues nous ont emp�ch�s de tirer les conclusions pratiques de l'analyse � laquelle nous nous �tions livr�s. Nous avons alors d�cid�, Elyazidi, Omar ben Abdeljalil et moi-m�me, de sortir de la maison pour pouvoir poursuivre notre analyse loin de la foule des visiteurs.

    En marchant, nous avons �labor� un plan d'action comprenant les diff�rents points qui doivent �tre soumis � une r�flexion approfondie tant sur le plan int�rieur qu'en ce qui concerne la poursuite de nos activit�s � l'�tranger. Omar ben Abdeljalil prendra l'avis des camarades du groupe de F�s, et chacun de nous trois s'est engag� � �tudier les voies et moyens qu'il conviendra d'adopter, d'abord dans le secret de sa conscience, avant de soumettre les conclusions de ses r�flexions � l'examen du groupe de la ville qu'il repr�sente. Puis,les repr�sentants des diff�rentes villes se r�uniront dans une s�ance pl�ni�re pour d�battre des solutiions propos�es et adopter � leur �gard une position commune.

    Nous nous sommes quitt�s sur cet accord de principe vers minuit. C'�tait la nuit du vendredi 22 juillet 1932.

  • Fragments de notes concernant les journ�es du 26 et du 28 juillet 1932
    • Le 26 juillet 1932

      Ce jour, je suis mont� � Rabat o� j'ai d'abord rencontr� Driss Albnioui[12] L'essentiel de l'entretien que nous avons eu s'est focalis� sur les tentatives des Fran�ais de rallier � leur cause certaines notabilit�s influentes auxquelles ils se plaignaient du refroidissement constat� dans les rapports des gouvern�s avec les gouvernants, et leur demandent d'user de leur charisme pour contribuer � l'am�lioration de ces rapports dont la d�gradation semble faire t�che d'huile dans l'ensemble du pays. Mais, lorsque ces notabilit�s les interrogeaient sur la question berb�re, ils se contentaient de r�pondre qu'il n'�tait pas dans leurs intentions de s'y int�resser, du moment que les d�cisions concernant cette affaire ont d�j� �t� prises conform�ment au voeu des Berb�res eux-m�mes.

      Ensuite, j'ai rejoint Elyazidi au jardin public. Notre entretien a port� sur deux informations contradictoires concernant les �v�nements de F�s:

      La premi�re fait �tat de ce que la jeunesse fassie venait de commettre un avocat pour assurer la d�fense de Brahim Elwazzani, et que cet avocat aurait demand� au gouvernement fran�ais de faire pression sur le r�sident g�n�ral de France � Rabat pour qu'il proc�de � l'�largissement de l'int�ress� qui avait besoin de soins hospitaliers. En effet, la rumeur de son admission � l'h�pital s'est vite r�pandue, tandis qu'une autre rumeur le donnait pour mort.

      La seconde est que Brahim Elwazzani, apr�s avoir longtemps r�sist� aux pressions exerc�es sur lui pour livrer les noms de ses compagnons, aurait fini par avouer les liens qu'il entretenait avec chacun d'eux. Il aurait d�clar� recevoir les tracts par l'interm�diaire de M�kouar qui �tait prot�g� anglais, que celui-ci les recevait � son tour par le biais de Haj M'hammed Bennouna de T�touan et, remontant la fili�re, il aurait dit que les tracts �taient con�us et r�alis�s � Gen�ve par Mohammed Mekki Naciri et Mohammed Hassan Elwazzani, qui les transmettaient � Ahmed Balafrej � Paris, lequel se chargeait de les exp�dier � T�touan. J'ai aussit�t fait savoir � Elyazidi qu'une telle rumeur �tait sans fondement et relevait de la pure calomnie. Les tracts n'empruntaient gu�re le circuit dont on attribuait l'aveu � Brahim Elwazzani. C'est encore un de ces bobards que le gouvernement diffuse quand il envisage d'atteindre un but pr�cis. On ne peut donc lui accorder aucune cr�dibilit�. Notre ami Elwazzani n'entretient aucun rapport avec l'�tranger et ignore totalement l'existence de correspondants qui op�rent sur l'�tranger � partir du Maroc.

      Lorsque nous sommes arriv�s au domicile d'Elyazidi, nous nous sommes mutuellement inform�s sur les d�veloppements de l'affaire du dahir du 16 mai 1930. J'ai attir� son attention sur le fait que ceux qui venaient d'�tre amnisti�s se seraient engag�s � renoncer � poursuivre la lutte avec leurs camarades qui, eux, continuent de tenir ferme � leurs principes. Elyazidi m'a inform� � son tour, qu'il s'�tait rendu chez le chef de la r�gion civile de Rabat pour en savoir plus sur les intentions du gouvernement du protectorat en ce qui concerne l'affaire du dahir berb�re, mais celui-ci s'est refus� de lui dire plus que ce que lui avait d�clar� le directeur des renseignements g�n�raux.

      Elyazidi m'a alors avou� qu'il ignorait tout des �v�nements qui se sont produits en son absence au Maroc et � l'�tranger. Je lui ai dress� un tableau en miniature de ce qui s'est pass� � Sal� ainsi que des activit�s de la jeunesse slaouie et lui ai conseill� de se r�unir en t�te-�-t�te avec Driss Albinioui qui d�tient des informations de premi�re main sur les �v�nements intervenus � Rabat, et de prendre attache avec notre ami El Fassi en ce qui concerne la ville de F�s.

      Puis, nous avons convenu de poursuivre la r�flexion sur la question berb�re; et au retour de notre ami El Fassi, nous prendrons une d�cision d�finitive au sujet des actions � entreprendre au Maroc et � l'�tranger. Je lui ai �galement sugg�r� d'arr�ter tout dialogue avec les repr�sentants du gouvernement du protectorat jusqu'au voyage du r�sident g�n�ral [13] en France. S'il est limog� ou simplement relev� de ses fonctions, nous saurons que le r�cent gouvernement fran�ais est soit d�cid� � changer compl�tement de tactique, soit au moins r�solu � revoir ses moyens d'intervention au Maroc en y apportant du nouveau. Mais si le r�sident g�n�ral est maintenu dans ses fonctions, nous saurons que les intentions de la France demeurent inchang�es. Il nous appartiendra alors d'agir en cons�quence en recourant � des moyens de lutte appropri�s. Nous ne devons pas perdre de vue qu'il est de notre devoir de saisir cette occasion pour donner en France une large diffusion aux �v�nements de F�s, au mouvement de protestation contre le dahir berb�re et au cahier des revendications du peuple marocain.

    • Le 28 juillet 1932

      L'Affaire Elwazzani

      Hier, notre ami Hachmi Filali est arriv� � Sal�. Nous avons abord� avec lui plusieurs questions parmi lesquelles l'affaire Elwazzani n'�tait pas des moindres. Il nous a inform�s que pendant les trois premiers jours de sa d�tention, les autorit�s ont essay� de faire pression sur lui pour qu'il leur livre le nom de l'autre personne qui distribuait les tracts avec lui. Mais, devant son obstination � garder le silence, elles ont d�cid� d'accompagner son interrogatoire de coups de fouet.

      Apr�s la comparution devant le pacha et la sortie des fonctionnaires � l'issue de l'audience, seuls restaient sur les lieux les agents de s�curit� charg�s d'infliger au "coupable" le cruel ch�timent du fouet, en pr�sence du pacha en personne. Mais il avait une force de caract�re qui l'aidait � r�sister � tous les s�vices corporels qu'il subissait en refusant de faire les aveux qu'on cherchait � lui extorquer. Malgr� toutes les mesures prises par les autorit�s pour �viter que le ch�timent du fouet inflig� � l'int�ress� ne s'�bruite sur la place publique, la nouvelle en a �t� propag�e dans tous les coins de la ville avec la rapidit� de l'�clair et � l'instant m�me o� il �tait impitoyablement ch�ti�. Les esprits �taient en proie � une profonde agitation. L'indignation de la population, toutes classes confondues, �tait � son comble. Mais, gr�ce � une force de volont� in�branlable et un esprit de sacrifice � toute �preuve, Elwazzani s'est comport� d'une mani�re exemplaire qui faisait honneur � la jeunesse marocaine en ne se laissant pas intimider par les moyens mis en oeuvre pour le faire parler. Ni les coups de fouet qu'il recevait sur toutes les parties de son corps ni les coups qu'on lui ass�nait � la t�te et au visage n'ont eu raison de sa volont� de garder le silence. Au demeurant, se disait-il, advienne que pourra!

      Il lui a �t� sugg�r� de cr�er de toutes pi�ces des motifs d'accusation pouvant conduire � l'arrestation de certains de ses camarades. Sur un ton ironique, il leur a r�pondu: "Si vous tenez absolument � ce que je d�bite des mensonges, je ne vois personne en dehors de vous-m�mes, contre qui je peux me pr�valoir de ce privil�ge".

      La jeunesse active de F�s a adress� une vive protestation au chef du gouvernement fran�ais ainsi qu'� la Soci�t� des Nations. Le texte de ce long r�quisitoire a �t� repris par une partie de la presse internationale. Sa diffusion a �t� assur�e aupr�s de toutes les chancelleries. De plus, un avocat a �t� commis � Paris pour assurer la d�fense de "l'inculp�". Il a aussit�t adress� un t�l�gramme au r�sident g�n�ral de France � Rabat pour lui demander de mettre � sa disposition les informations concernant les faits reproch�s � son client pour lui permettre de constituer le dossier de sa d�fense.

      Nous verrons bien ce que les prochains jours vont apporter de nouveau dans cette affaire.

      Affaire Abdellatif Sbihi

      Le 13 juillet, une mesure d'amnistie a �t� prise en faveur d'Abdellatif Sbihi et de Mohammed Elyazidi. Mais le chef de la r�gion de Tiznit a attendu jusqu'au 19 courant pour notifier cette mesure � Abdellatif, ayant mis cette semaine � profit pour s'adonner � des louvoiements sans fin , pensant qu'il pouvait le convaincre � se distancer du mouvement de protestation contre le dahir berb�re. Mais, Abdellatif opposait � toutes ces tentatives un refus cat�gorique et les accueillait avec autant d'agacement que de d�pit. Finalement, il a d�clar� au chef de r�gion qu'il comptait poursuivre par les moyens l�gaux son action d'opposition � la politique berb�re et qu'il n'entrait pas dans ses intentions de nuire � l'ordre public.

      Abdellatif a charg� un �missaire de prendre attache avec son fr�re � Casablanca pour s'informer sur le cours des �v�nements et v�rifier si ses camarades ont renonc� � poursuivre la lutte comme cel� a �t� avanc� par le chef de r�gion, qui lui a fait miroiter en contreparrtie de cette renonciation un poste de responsabilit� au sein de l'appareil administratif. Lorsque le fr�re d'Abdellatif a appris ce que l'�missaire venait de lui communiquer, il est rentr� s�ance tenante � Sal�. Je me suis r�uni avec lui et lui ai promis d'�lucider cette affaire avec notre ami Elyazidi. Je me suis rendu le soir m�me au domicile de ce dernier � Rabat; et il m'a assur� qu'il n'a jamais �t� question qu'il renonce � la poursuite de la lutte et que, tout au plus, il a promis � ses ge�liers d'�tudier la question berb�re sur le plan juridique et s'est engag� � ne rien entreprendre qui f�t de nature � troubler l'ordre public. De plus, il m'a fait savoir que, depuis le jour de sa lib�ration, les Fran�ais n'ont cess� de le harceler avec des propositions de recrutement, et que, pour toute r�ponse, il leur disait qu'il avait besoin de beaucoup de repos apr�s toutes les �preuves qu'il venait de subir.

      De retour � Sal�, j'ai inform� Abou Bakr Sbihi de l'entretien que je venais d'avoir avec Elyazidi, et nous avons convenu qu'il rapporte mot pour mot les propos de ce dernier � son fr�re et qu'il lui demande de nous fixer sur la position qu'il comptera adopter. La r�ponse d'Abdellatif ne s'est pas laiss�e attendre. Il s'est tout de suite rang� sur la fa�on de voir d'Elyazidi en d�clarant au chef de r�gion: "Nos camarades sont r�solus � poursuivre la lutte par les moyens l�gaux, et estiment que la question du recrutement est une affaire personnelle qui n'a rien � voir avec la cause patriotique pour laquelle nous avons �t� condamn�s � l'exil".

      C'est ainsi qu'Abdellatif est rest� � Tiznit, et il nous �tait impossible, dans ces circonstances, de pr�dire comment les �v�nements allaient �voluer.

  • Fragments de notes concernant les �v�nements de 1933 et 1934

    En plus de la revue "Almaghrib" en langue fran�aise qui paraissait � Paris, d'autres journaux ont vu le jour en �t� 1933: c'�tait le cas de "l'Action du Peuple" qui �tait publi� � F�s, de la revue "Assalam" et des journaux "Al Hayat" et "Al Houria" de T�touan. Ils remplissaient pratiquement le r�le imparti aux journaux d'opposition et ne manquaient pas de critiquer s�v�rement la politique de l'administration directe que la puissance protectrice tentait d'instaurer au Maroc. Ils �taient encourag�s dans cette voie par la prise de conscience identitaire et le r�veil de la fibre patriotique du peuple marocain d'une part, et par le conflit qui opposait le r�sident g�n�ral Henri Ponsot � la colonie fran�aise �tablie au Maroc d'autre part. Ils savaient qu'Henri Ponsot �tait favorable � une r�forme radicale des structures de l'appareil administratif, malgr� le silence qui entourait tout ce qu'il entreprenait. Certes, il ne combattait pas les responsables du Mouvement National, mais il s'abstenait de donner suite � leurs revendications. Il accueillait avec la m�me r�serve les agissements de la colonie fran�aise et opposait une fin de non recevoir aux tentatives de la Direction des Affaires Indig�nes d'interdire les journaux nationaux et d'adopter une politique de r�pression � l'�gard des repr�sentants du Mouvement National.

    D�but mai, la Direction des Affaires Indig�nes a saisi l'occasion du d�placement d'Henri Ponsot � Paris pour ourdir un complot des plus saugrenus, mais qui lui a r�ussi malgr� sa stupidit�.Elle n'a pas admis que S.M. le Sultan f�t accueilli avec autant d'enthousisme lors de la visite qu'il a effectu�e � F�s, o� il a �t� re�u � l'entr�e de la ville par une importante d�l�gation du Mouvement National. Elle n'a pas tol�r� l'accueil chaleureux qui a �t� r�serv� au Souverain par une mar�e humaine qui l'ovationnait dans une atmosph�re de liesse sans pr�c�dent en donnant libre cours � ses sentiments patriotiques tout en manifestant son attachement � la personne du Roi en tant que symb�le des valeurs de libert� et garant de l'unit� nationale. Devant les sc�nes de sursaut du nationalisme, et sous pr�texte que le drapeau fran�ais aurait �t� d�chir� par quelque manifestant, la Direction des Affaires Indig�nes a aussit�t proc�d� � l'interdiction de "l'Action du Peuple" et mis un terme � l'entr�e des journaux de T�touan en z�ne sud. Le Souverain a alors pris la d�cision d'interrompre son voyage � F�s o� il comptait s�journer pendant tout un mois comme le voulait la tradition. Il a pris cette d�cision en guise de protestation contre les agissements de l'autorit� coloniale.

    A son retour � Rabat, SM. le Sultan a fait recevoir une d�l�gation compos�e d'Allal El Fassi, Hassan Elwazzani, Omar ben Abdeljalil et Mekki Naciri, par le Grand Vizir qui leur a fait part de la grande satisfaction que le Souverain �prouvait � leur �gard et qu'ils �taient dans ses tr�s bonnes gr�ces.


 
[6] Le mouvement de protestation contre le dahir berb�re a �t� enclench� � Sal� avec la pri�re du latif qui a �t� prononc�e dans la grande mosqu�e de la ville. Abdellatif Sbihi, qui �tait fonctionnaire � la Direction des Affaires Ch�rifiennes s'est distingu� dans le mouvement de lutte contre la politique berb�re mat�rialis�e par la promulgation du dahir du 16 mai 1930. Il a �t� licenci�, �loign� � Marrakech, puis transf�r� � Tiznit et ensuite � Azilal. Avec cette mesure d'�loignement, les Fran�ais pensaient mettre un terme au mouvement de protestation et faire cesser les rassemblements au cours desquels la population exprimait son indignation par le biais de la pri�re du latif. Mais l'exil d'Abdellatif Sbihi n'a fait qu'augmenter la ferveur de la jeunesse patriotique et intensifier son activit� de r�sistance, si bien que les mosqu�es de Sal� et celles de Rabat et de F�s regorgeaient de fid�les qui s'y rendaient en masse pour exprimer leur rejet des vis�es s�paratistes de la politique coloniale.
[7] Abdeslam Elwazzani fait partie des pionniers du Mouvement National � Oujda. Il a particip� de mani�re effective au combat men� contre la politique coloniale, ce qui lui a valu de passer une tranche de sa vie en prison. Au lendemain de l'ind�pendance, il a exerc� des fonctions judiciaires en qualit� de magistrat du si�ge et s'est distingu� par une droiture exemplaire.
[8] Il s'agit de Mme A�cha Sbihi, n�e Zniber, fille de Haj Ali Zniber, qui avait tr�s t�t pris conscience du danger du colonialisme fran�ais et prodigu� une s�rie de conseils au Sultan Moulay Abdelaziz. Il a �galement soumis au Souverain le projet d'une Constitution . La biblioth�que Sbihi � Sal� renferme plusieurs documents manuscrits r�dig�s par l'int�ress� lui-m�me. Sa fille A�cha , m�re d'Abdellatif Sbihi �tait cit�e en exemple de courage et de patriotisme. La jeunesse de Sal� l'appelait, apr�s le discours qu'elle venait de prononcer, "la m�re des Marocains".
[9] La personne d�sign�e par le No 75 est Mohammed Chemao, membre de l'association "Alwidad" qui, par souci de pr�server l'anonymat de ses adh�rents, leur attribuait des num�ros qu'ils utilisaient pour signer leurs correspondances et leurs �crits. Sa�d Hajji s'�tait vu attribuer le chiffre 25. (voir dans la partie de cet ouvrage r�serv�e � la correspondance la lettre adress�e par le No 25 au No 75)
[10] Chemao tenait une librairie � Sal� o� il vendait les journaux et revues arabes
[11] Bouchta El Jamii est un des pionniers du Mouvement National. Il fait partie des premiers patriotes qui ont connu la torture dans les geoles de l'�re coloniale.
[12] Driss Albnioui fait partie des nationalistes qui ont largement contribu� au r�veil de la conscience nationale � Rabat. Son magasin, v�ritable lieu de rencontre de la jeunesse patriotique, �tait consid�r� comme un club o� se brassaient les id�es, o� les �v�nements nationaux �taient comment�s. C'�tait aussi le point de ralliement des personnes charg�es de la distribution des tracts.
[13] Il s'agit du r�sident g�n�ral Lucien Saint qui a oeuvr� pour acc�l�rer la promulgation du dahir du 16 mai 1930
 

Raouf Hajji. Last modified: $Date: 2006/01/25 14:46:37 $
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