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Impressum |
Chapitre 14. Le Maroc face aux
al�as de l'histoire
Dans l'essai biographique qu'Abou Bakr Kadiri
a consacr� � la vie et aux activit�s de Sa�d
Hajji dans les domaines politique, culturel et
journalistique, l'auteur a publi� au tome 1,
pages 77 et suivantes, des fragments du
bloc-notes de l'int�ress� et les a assortis du
commentaire suivant:
"Sa�d avait un
esprit d'une grande f�condit�. Ses activit�s
�taient multiples et vari�es. Pendant qu'il
m�rissait l'id�e d'un projet qui lui tenait au
coeur, il ne perdait pas de vue les sujets
culturels, objet de ses recherches permanentes.
Les questions d'ordre politique l'incitaient �
commenter les faits marquants de l'actualit� au
fur et � mesure de leur d�roulement, comme s'il
craignait d'�tre d�pass� par le flot des
�v�nements qui se succ�daient � une cadence
acc�l�r�e et de risquer de les oublier avec
l'inexorable �coulement du temps.
C'est pour cette
raison qu'on le voyait se retirer de temps en
temps dans un lieu solitaire pour consigner, ne
f�t-ce que de mani�re sch�matique, les
�v�nements qu'il a v�cus ou qu'il a contribu� de
pr�s ou de loin � fa�onner, si ce n'�tait pas
pour �chafauder les grandes lignes d'un projet
qu'il comptait t�t ou tard r�aliser. Il est
regrettable que ce bloc-notes n'ait �t� tenu que
de mani�re �pisodique. Je n'ai pu
malheureusement en conserver que quelques
fragments sur des feuilles �parses.
Mais, compte tenu
de l'importance de la mati�re qui s'y trouve
consign�e, mati�re �crite � chaud, enregistrant
les principaux �v�nements du Mouvement National
et les phases de la lutte men�e contre la
politique coloniale de la France dans notre
pays, il ne fait aucun doute que les quelques
indications fournies dans les fragments de ce
bloc-notes rev�tent le caract�ere de cr�dibilit�
d'un v�ritable document historique".
- Fragments de notes concernant la
p�riode du 16 au 22 juillet 1930
- Mercredi 16 juillet 1930
Il ne s'est produit ce jour rien
de nouveau sinon que les
nouvelles en provenance de F�s
et d'ailleurs font �tat de
l'extr�me gravit� de la
situation en ce sens que les
masses populaires ont pris
conscience du danger que
repr�sentait la mise en oeuvre
du nouveau dahir pour l'unit�
linguistique et religieuse du
pays.
La jeunesse de Sal� a tenu
une r�union � laquelle a
particip� Elyazidi. Il a �t�
d�cid� au cours de cette r�union
qu'une d�l�gation se rende le
lendemain matin � Rabat pour se
renseigner aupr�s du Directeur
des Affaires Indig�nes,Mr
Benazet, sur le sort d'Abdellatif
Sbihi.[6]
- Jeudi 17 juillet 1930
Les
membres de la d�l�gation de
Sal�, qui �tait compos�e de
Mohammed Chemao, Abdelkrim
Sabounji, Kacem Hassar et
Abdelkrim Hajji, se sont rendus
au courant de la matin�e du 17
juillet aupr�s du Directeur des
Affaires Indig�nes qui leur a
r�serv� dans son bureau un
accueil chaleureux et empreint
de courtoisie. Lorsqu'ils l'ont
interrog� sur le sort d'Abdellatif
Sbihi, il leur a demand� de
s'entretenir d'abord avec eux
sur la question berb�re. Ils ont
compris � travers son expos�
qu'il cherchait � justifier la
position de la France � l'�gard
de l'Islam et � soutenir que son
pays appr�ciait et respectait
notre religion et faisait tout
son possible pour sa
conservation. Il leur a
conseill� de suspendre le
mouvement de protestation
jusqu'au retour du Sultan, et
leur a promis - promesse de
gascon - sur l'honneur qu'il
mettra tout en oeuvre pour
soumettre cette question �
l'�tude. L'entretien n'a gu�re
d�pass� les limites de
l'habilit� politique qui a
permis au Directeur des Affaires
Indig�nes de d�former la r�alit�
comme bon lui semblait. Il a
dur� plus de deux heures au
cours desquelles les principaux
probl�mes d'ordre politique et
religieux ont �t� abord�s.. Les
membres de la d�l�gation se sont
vus offrir de hautes fonctions
en contrepartie de leur
acceptation d'arr�ter le
mouvement de protestation et de
soutenir le gouvernement dans
son action.
En ce qui concerne Abdellatif
Sbihi, Mr Benazet a fait savoir
� ses interlocuteurs qu'il
allait �tre d�f�r� devant le
pacha de Marrakech, puis il
s'est r�tract� en disant que
l'inculp� allait devoir r�pondre
de ses agissements devant les
autorit�s comp�tentes, et que le
motif de son �loignement �tait
dict� par les atteintes graves �
l'ordre public provoqu�es par le
mouvement de protestation que
l'int�ress� aurait initi�. Il
semble, � en juger par ses
propos, que le Gouvernement du
Protectorat ne sait pas quelle
d�cision prendre et qu'Abdellatif
Sbihi allait �tre maintenu en
exil � Marrakech pour une
p�riode ind�termin�e.
La nouvelle de l'entretien
que les membres de la d�l�gation
de Sal� ont eu avec le Directeur
des Affaires Indig�nes s'est
propag�e dans les deux villes
voisines de Sal� et de Rabat, et
del� elle s'est diffus�e �
travers tout le Maroc. Elle a
nourri de nombreux commentaires.
Nous avions vraiment
l'impression de nous �tre
acquitt�s avec succ�s de la
mission qui nous �tait impartie.
Nous avons proc�d� � une vaste
collecte de fonds pour subvenir
aux besoins des pauvres apr�s la
pri�re du vendredi, et nous
avons ainsi cr�� un sursaut de
conscience ainsi qu'un profond
sentiment de solidarit�. Les
initiateurs du mouvement �taient
consid�r�s par la population,
toutes classes r�unies, comme de
v�ritables leaders politiques.
La jeunesse fassie a arr�t�
les voies et moyens pour
enclencher le mouvement de
protestation � F�s. Elle a
charg� Abdeslam Elwazzani de
prononcer un discours en son nom
� l'issue de la pri�re du
vendredi.[7]
- Vendredi 18 juillet 1930
L'opinion publique ne
s'int�ressait plus qu'� un seul
sujet, � savoir la question
berb�re. La pri�re du latif a
�t� dite dans 6 mosqu�es �
Rabat. Des aum�nes ont �t�
distribu�es dans certaines
d'entre elles. A Sal�, le latif
a �t� d�clam� dans l'enceinte de
la grande mosqu�e, mais l'aum�ne
a �t� dispens�e dans l'ensemble
des mosqu�es de la ville, o�
l'on a assist� � des sc�nes
grandioses de solidarit�.
Quant � la ville de F�s, elle
n'a jamais connu pareille
effervescence. Apr�s la pri�re
traditionnelle, les fid�les ont
�t� appel�s � se lever pour
faire "la pri�re de l'absent".
Puis, ils ont commenc� � clamer
� l'unisson la pri�re du latif.
L'orateur d�sign�, Abdeslam
Elwazzani, est mont� au podium
situ� en plein milieu de la
mosqu�e. Il a �t� accueilli dans
un enthousiasme d�lirant et
ovationn� par une reprise
impressionnante du latif.
L'orateur a pu ensuite prononcer
son discours qui �tait �maill�
de mots d'ordre patriotiques
ayant tous pour th�me la
question berb�re. Il a proc�d� �
une analyse exhaustive des
clauses du dahir du 16 mai 1930
et mis en relief les dangers que
faisait courir � notre patrie la
mise en application d'un pareil
texte de loi qui, sous couvert
d'une pr�tendue r�organisation
de la justice, visait en fait �
substituer les coutumes berb�res
ant�islamiques aux prescriptions
du droit musulman qui
s'appliquaient uniform�ment �
l'ensemble des Marocains, qu'ils
fussent d'origine arabe ou de
souche berb�re. L'orateur a
ensuite invit� la foule des
fid�les � se rendre en masse au
Mausol�e Moulay Idris, o� un
nouveau discours a �t� prononc�
par Sefrioui, suivi d'un
commentaire des principaux
th�mes de ce discours improvis�
par Hachmi Filali. Les
manifestants se sont ensuite
dirig�s par petits groupes vers
la maison du pacha et celle du
gouverneur de la r�gion. En
apprenant en cours de route que
Sefrioui a �t� arr�t� sur ordre
du pacha, ils se sont mis dans
tous leurs �tats et se sont
rendus en courant au domicile de
ce dernier, mais il leur a �t�
r�pondu qu'il s'agissait d'une
fausse nouvelle. Au bout de
quelque temps, Sefrioui a fait
son apparition, venant de la
ville et non pas de la maison du
pacha. Les manifestants ont
commenc� � se disperser. Mais au
moment de quitter le domicile du
pacha, une altercation a oppos�
un jeune patriote � un agent du
service d'ordre. Cette
altercation s'est sold�e par un
pugillat entre les parties en
pr�sence, n�cessitant
l'intervention du pacha, qui a
convoqu� quatre jeunes et les a
condamn�s � �tre fouett�s et
jet�s en prison. Il a �t�
ensuite proc�d� � l'arrestation
d'une vingtaine de jeunes parmi
les organisateurs de la
manifestation. La ville de F�s a
ainsi connu ce soir-l� un regain
�norme de tension accompagn� de
toutes sortes de rumeurs
concernant l'intimidation de la
population par la mise en oeuvre
des mesures r�pressives dans
toute l'�tendue de leur
s�v�rit�.
- Samedi 19 juillet 1930
Dans la matin�e de ce samedi 19
juillet, la jeunesse de Sal� et
celle de Rabat ont �t� inform�es
que la m�re du leader Abdellatif
Sbihi[8]
se proposait de prendre la
parole devant les jeunes �pris
de libert� pour leur transmettre
des messages de nature �
stimuler leur fibre patriotique.
Le soir, nous avions
rendez-vous � la grande mosqu�e
de Rabat pour la d�clamation du
latif. A l'heure convenue, les
gens de toutes les couches
sociales y ont afflu�
remplissant l'int�rieur de la
mosqu�e malgr� ses grands
espaces. Il a �t� proc�d� � une
lecture du Coran qui invitait �
un profond recueillement, puis
le latif a fus� de toutes les
poitrines des personnes
pr�sentes.
Nous nous sommes rendus
ensuite chez la m�re
d'Abdellatif Sbihi qui nous a
r�serv� un accueil des plus
chaleureux. Les jeunes de Rabat
et de Sal� ont pu s'informer
mutuellement des actions
entreprises par les uns et les
autres. A 18 heures, nous nous
sommes rassembl�s dans
l'enceinte du patio pour �couter
le discours annonc� de la m�re
d'Abdellatif dont nous
reproduisons ci-dessous les
grandes lignes:
"Je vous souhaite une agr�able
soir�e, mes enfants. Mon voeu le
plus cher est de vous savoir
tous en bonne sant� et
d'apprendre de chacun de vous
des nouvelles rassurantes le
concernant. Comment avez-vous
accueilli la nouvelle de
l'arrestation d'Abdellatif? Pour
ma part, je suis heureuse et
fi�re de la lutte que vous menez
pour la d�fense de notre patrie
et de nos valeurs spirituelles.
Que Dieu vous aide et vous
assiste dans l'�preuve que vous
traversez en renfor�ant votre
potentiel de r�sistance ainsi
que votre disponibilit� � servir
votre patrie. C'est un bonheur
pour moi que mon fils fasse
partie de votre mouvement et
qu'il ait �t� arr�t� pour la
noble cause que vous d�fendez et
pour laquelle je suis dispos�e �
donner le meilleur de moi-m�me,
quitte � me sacrifier, �
sacrifier mes biens, � sacrifier
mes propres enfants. dans
l'int�r�t de notre ch�re
patrie".
"Mes enfants, Ne m�nagez aucun
effort pour servir votre patrie
et votre religion. Dieu est avec
vous. N'ayez aucune crainte,
sinon vous serez condamn�s �
�tre victimes de tous les
d�boires et toutes vos
entreprises seront
irr�m�diablement vou�es �
l'�chec. Mourir pour sa patrie
et ses valeurs spirituelles vaut
infiniment mieux que de mener
une vie d'humiliation et
d'indignit�.N'ayez aucune
crainte. Il n'y a qu'une seule
mort, et les portes du paradis
sont grandement ouvertes pour
accueillir les combattants que
vous �tes. Sachez que Dieu
r�compense les hommes qui font
preuve de patience. C'est sur
Lui que vous devrez compter pour
que la foi qui vous anime et
l'attachement que vous portez
aux valeurs qui sont les v�tres
fassent triompher l'�quit� et la
justice dans notre pays".
Elle n'avait pas fini son
discours que tous les visages
�taient r�jouis et semblaient
dire: Quel heureux pr�sage pour
les Marocains d'avoir une telle
femme qui fait honneur �
l'�l�ment f�minin de leur pays.
Fasse Dieu que les hommes
s'inspirent de sa volont�, de sa
d�termination et de sa foi sans
lesquelles, ils seraient dans
l'impossibilit� d'avoir l'�lan
n�cessaire pour agir et
accomplir leur destin.
Le soir, de nouvelles rumeurs
ont circul� au sujet de
l'affaire de F�s. Mais la
r�alit� est ce que nous avons
consign� la veille.
- Dimanche 20 juillet 1930
Les nouvelles de F�s se sont
propag�es de long en large �
travers le pays, malgr� les
efforts que nous avons d�ploy�s
pour �viter de les �bruiter.
Mais, il est somme toute
r�jouissant de constater que
leur diffusion a nourri aupr�s
des masses populaires, en marge
de la volont� dont les
manifestants faisaient preuve,
un regain d'activit�s doubl� de
la ferme d�termination d'aller
jusqu'au bout de leurs forces de
r�sistance � l'oppression. Les
gens n'avaient plus d'autre
sujet de conversation que celui
de l'h�ro�sme des Fassis. Ils
nous reprochaient de ne pas leur
tenir compagnie dans les geoles
du pouvoir. Les m�mes sources
nous apprennent que le peuple
est toujours en �tat de r�volte,
qu'il a dit la veille la pri�re
du latif et n'a compt� aucune
d�faillance dans les rangs des
participants.
En ce qui concerne la
jeunesse de Sal�, elle a fait du
porte-�-porte pour informer les
commer�ants et les industriels
que le latif sera dit � la
grande mosqu�e apr�s la pri�re
de l'Asser (aux environs de 16
h). A l'heure convenue, la
mosqu�e �tait litt�ralement
prise d'assaut par les
manifestants dont le nombre
�tait �valu� � plus de 4000. Par
rapport � une ville comme Sal�,
ce chiffre est pour le moins
impressionnant. La pr�sence
d'une tr�s grande d�l�gation de
Rabat a �t� fort remarqu�e. La
manifestation a commenc� par la
lecture de quelques versets du
Coran. Puis, apr�s la pri�re de
l'Asser, diff�rentes
supplications ont �t� adress�es
� Dieu, suivies de la pri�re du
latif qui a �t� reprise d'une
seule voix par l'ensemble des
personnes pr�sentes. Le texte de
cette pri�re a �t� con�u par
l'un des participants qui a
improvis� � cette occasion un
vers dont la rime du premier
h�mistiche est le mot "latif"
qui veut dire "mis�ricordieux"
et celle du second h�mistiche
"Abdellatif" qui veut dire "le
serviteur de Dieu le
mis�ricordieux". Ce vers qui
associe un des qualificatifs de
Dieu au nom du leader exil�, se
pr�sente comme suit:
Aie piti� de tes sujets, oh Dieu! oh Latif!
Ordonne que soit lib�r� Abdellatif
L'�cho du latif a retenti
dans les quatre coins de la
ville. A notre sortie de la
grande mosqu�e, nous nous sommes
rendus � la plage o� nous avons
abord� des questions d'actualit�
politique et sociale. Le soir,
la jeunesse de Sal� s'est r�unie
au domicile du No 75[9]
en pr�sence d'Elyazidi et
Abdellatif La�tabi.
Plusieurs sujets ont �t�
d�battus au cours de cette
r�union. Mais la question qui
dominait toutes les autres �tait
le probl�me pos� par l'exil
d'Abdellatif Sbihi. Le No 75 a
propos� qu'une d�l�gation de
jeunes de Sal� se rende dans les
meilleurs d�lais � la Direction
des Affaires Indig�nes pour
s'enqu�rir aupr�s de Mr B�nazet
du sort de l'exil�. Apr�s examen
de cette proposition, elle a
re�u l'aval du groupe. Un comit�
a aussit�t �t� constitu� parmi
les membres pr�sents, groupant
Elyazidi, Chemao et Abdelkrim
Sabounji.
- Lundi 21 juillet 1930
Une
fatigue g�n�rale ayant contraint
Abdelkrim Sabounji � garder le
lit, seuls Elyazidi et Chemao se
sont rendus aupr�s du Contr�leur
Civil Chef de la R�gion de
Rabat. Ils se sont longuement
entretenus sur la question
berb�re. Le probl�me pos� par
l'exil d'Abdellatif a �t� au
centre de l'entretien. Le Chef
de R�gion a ensuite demand� �
ses interlocuteurs de r�duire
l'�tat de tension et les a
assur�s que leurs demandes
seraient prises en consid�ration
- mais ce n'�tait
malheureusement que des
promesses d'un homme politique
qui n'allaient aucunement �tre
suivies d'effet -. A la fin de
l'entretien, le Chef de R�gion
leur a fait part de son
intention de s'enqu�rir sur le
sort d'Abdellatif aupr�s du
Directeur des Affaires Indig�nes
et leur a promis de les
recontacter mardi pour les tenir
inform�s des r�sultats de ses
d�marches.
Au courant de l'apr�s-midi,
Chemao est all� voir le
contr�leur civil de Sal� au
sujet de la revue �gyptienne "Al
Mousawar" que le gouvernement
croyait � tort qu'elle �tait
interdite depuis quelques jours.[10]
Il a saisi cette occasion pour
orienter la discussion sur la
question berb�re. De l'entretien
qui a dur� plus de deux heures,
il a pu apprendre que le
gouvernement �tait r�solu �
amender l'article 6 du dahir du
16 mai 1930. Il est arriv� �
cette conclusion apr�s avoir dit
au contr�leur: " Ce matin, nous
�tions Elyazidi et moi-m�me chez
le chef de r�gion, et il nous a
confirm� que le dahir allait
�tre abrog� � notre enti�re
satisfaction apr�s le retour du
Sultan de son voyage en France"
et que le contr�leur, qu'ils
avaient mis dans l'embarras,
leur a r�pondu: "Il n'est pas
question d'abroger le dahir;
seul l'article 6 en sera
modifi�".
Le contr�leur a �t� accul� �
apporter cette pr�cision en
pensant que c'est ce qu'a d�
dire le chef de r�gion � ses
deux interlocuteurs, et il en a
d�duit que le gouvernement
n'appr�ciait gu�re la punition
du fouet qui a �t� inflig�e � la
jeunesse fassie. Il a ajout� que
la puissance protectrice
n'appr�ciait gu�re les
ch�timents corporels dont on lui
imputait la cruaut� et la
barbarie, et que probablement le
gouvernement aurait rappel� le
pacha de la ville � l'ordre au
sujet de cette affaire.
- Mardi 22 juillet 1930
Il
ne s'est rien pass� de nouveau
au courant de cette journ�e.
Tout �tait pour le mieux dans le
meilleur des mondes. Les gens
ont commenc� � nourrir l'espoir
que le dahir allait �tre abrog�.
Le commandant de la r�gion a
r�pondu � Elyazidi qu'il
permettait � l'un des proches
d'Abdellatif d'aller lui rendre
visite � Marrakech et qu'il lui
suffisait pour cel� de demander
l'autorisation au contr�leur
civil de la circonscription de
Sal�. Par ailleurs, aucune
nouvelle digne de foi ne nous
est parvenue jusqu'� pr�sent de
F�s. Il semblerait, selon
certaines rumeurs incontr�l�es,
que le gouvernement aurait
essay� d'�largir Elwazzani, mais
que celui-ci aurait refus� de
sortir de prison avant que les
autres d�tenus ne soient tous
lib�r�s.
- Fragments de notes concernant la
p�riode du 4 au 22 juillet 1932
Le
groupe de F�s a d�cid� de comm�morer le
jour anniversaire de la grande
manifestation au cours de laquelle les
jeunes manifestants ont �t� arr�t�s et
bastonn�s sur ordre du pacha. Ils ont
distribu� la veille des tracts rappelant
� la nation le devoir de solidarit� qui
s'�tait manifest� ce jour-l� et en ont
affich� d'autres sur les murs de la
ville. Cette action de distribution et
d'affichage s'est limit�e � la seule
ville de F�s. Parmi les jeunes qui se
sont port�s volontaires pour mener �
bien cette op�ration, il y avait Ibrahim
Elwazzani que les services de s�curit�
ont arr�t� "en flagrant d�lit" et
conduit manu militari en prison o� il a
�t� expos� � la torture depuis son
arrestation jusqu'� ce jour. Il �tait
fouett� pendant les interrogatoires pour
qu'il d�nonce ses camarades qui �taient
charg�s comme lui de la distribution des
tracts. Mais il a fait preuve d'une
grande force de caract�re et d'un
courage � toute �preuve en refusant de
livrer les noms de ses compagnons de
lutte, ce qui a raffermi l'espoir et
l'esprit de sacrifice dans les milieux
de la jeunesse et les a renforc�s dans
leurs convictions et leur attachement
aux valeurs de libert� et de dignit� qui
les animaient.
A partir de ce jour-l�, F�s est
devenue pareille � une ville en �tat de
si�ge. Les sorties de nuit sont
interdites � l'heure du couvre-feu. De
nombreuses personnes ont �t� arr�t�es et
accus�es pour des motifs insignifiants
que rien ne justifiait. Le dispositif de
contr�le a �t� renforc� dans tous les
coins de la ville. Le moindre soup�on
entra�nait l'arrestation des innocents
qu'on tra�tait comme de banals suspects
potentiels.
A titre d'exemple, on peut citer le
cas d'un chauffeur de taxi qui, pour
avoir enfreint l'injonction d'un agent
de police en ne s'arr�tant pas � son
signal, �t� abattu � bout portant par le
repr�sentant de l'ordre public au motif
que l'int�ress� ne lui inspirait pas
confiance. Le lendemain, les journaux
locaux ont rapport� que le chauffeur de
taxi aurait �t� surpris pendant qu'il
escaladait le mur de l'Administration de
la R�gion. Ils ont compl�tement d�form�
la r�alit� pour couvrir le coupable et
justifier l'acte criminel qui l'exposait
� des poursuites p�nales. Le chauffeur
de taxi est ainsi la premi�re victime du
mouvement de protestation contre le
dahir berb�re.
Un autre exemple nous est fourni par
la mesure d'arrestation que le
gouvernement a prise de mani�re
arbitraire � l'encontre de l'instituteur
Bouchta El Jamii[11]
qui donnait des cours aux �l�ves des
�coles publiques et dont le crime qui
lui �tait reproch� �tait de croire �
l'id�al patriotique et de compter
beaucoup d'amis � F�s. Il lui a �t�
propos� un poste de secr�taire "adoul"
dans sa localit�, mais il l'a refus�
pr�f�rant la prison au march� de dupe
qu'on lui faisait miroiter contre son
�loignement de la ville de F�s.
De retour � Sal�, je me suis enquis
des �v�nements aupr�s de mes amis et
j'ai pu apprendre qu'un embryon d'une
association s'�tait constitu� et s'�tait
engag� � entreprendre un certain nombre
d'actions. J'ai �tudi� les voies et
moyens pour parvenir � renforcer les
assises de ce groupement qui a aussit�t
avalis� les propositions que je lui ai
faites. Nous avons convenu de tenir une
s�rie de r�unions pour mettre au point
un programme assorti d'un plan d'action
que nous avons limit� dans un premier
stade aux points suivants:
Cr�ation d'une caisse nationale
Etablissement de liens entre la
jeunesse marocaine et l'�tranger
Adoption d'un pacte national
L'�tude du premier point que nous
avons inscrit � l'ordre du jour de nos
r�unions nous a permis d'explorer deux
voies pouvant conduire l'une et l'autre
� renflouer la caisse nationale que nous
avons d�cid� de cr�er:
Achat de livres et d'autres objets
susceptibles d'�veiller l'esprit
patriotique et leur mise en vente � des
prix convenables afin d'alimenter la
caisse nationale avec les b�n�fices
r�alis�s.
Incitation des membres actifs et des
personnes des milieux ais�s � verser des
dons mensuels. Nous avons dress� une
liste exhaustive des donateurs
potentiels, et chacun de nous s'est
charg� de prendre attache avec les
personnes de son entourage et de son
cercle de connaissances.
Au courant de la journ�e du 14
juillet 1932, nous avons appris
qu'Elyazidi, Sbihi et Al Attabi ont �t�
amnisti�s. Le soir, le p�re d'Elyazidi a
re�u un t�l�gramme de son fils annon�ant
son retour. L'�pouse d'Al Attabi a
�galement �t� inform�e du retour de son
mari. Ces nouvelles nous ont combl�s de
joie. Le lendemain, Al Attabi et
Elyazidi sont arriv�s respectivement � 3
heures de l'apr�s-midi et � 10 heures et
demie du soir.
Nous �tions dans l'ignorance totale
des circonstances qui ont ainsi acc�l�r�
l'�largissement de nos compagnons; mais
lorsque nous nous sommes r�unis avec
eux, ils nous ont inform�s que le
contr�leur civil les a convoqu�s dans la
matin�e du vendredi pour leur signifier
qu'ils �taient libres de rentrer chez
eux, et leur a montr� un t�l�gramme en
provenance de la R�sidence G�n�rale de
France � Rabat les amnistiant �
l'occasion de la f�te du 14 juillet.
Mais nous nous sommes assur�s par la
suite que la mesure de lib�ration avait
�t� prise non pas par la R�sidence
G�n�rale, mais par le Gouvernement
fran�ais. Les visites des parents et
amis d'Elyazidi ont dur� 4 jours au
cours desquels il nous �tait
pratiquement impossible de nous r�unir
en t�te-�-t�te avec lui.
Une semaine apr�s leur arriv�e, ils
se sont rendus aupr�s du contr�leur
civil chef de la r�gion de Rabat qui
leur a fait part de la joie qu'il avait
de se r�unir avec eux. Mais, lorsqu'ils
l'ont interrog� sur la question berb�re,
il leur a r�pondu qu'il ne pouvait pas
s'entretenir avec eux sur ce sujet et
leur a fait savoir que le directeur des
renseignements g�n�raux voulait les
rencontrer mais qu'il a eu un
emp�chement de derni�re minute, ayant
�t� appel� d'urgence � la R�sidence
g�n�rale. Un rendez-vous a �t� convenu
pour le lendemain. Lorsqu'ils ont �t�
re�us par le directeur des
renseignements, qui les a fait attendre
plus d'une heure apr�s l'heure convenue,
il leur a montr� une sorte de
disponibilit� � aborder avec eux
l'�ventualit� de leur recrutement dans
la fonction publique; et, s'adressant �
Elyazidi, il lui a dit:
Votre p�re n'est pas du tout
tranquille � votre sujet.Vous avez
besoin de beaucoup de repos et de
stabilit�.
Oui, c'est vrai, lui a -t- il
r�pondu. Je compte prendre un � deux
mois de repos
Lorsque Elyazidi a d�vi� la
conversation sur la question berb�re, le
directeur des renseignements a essay� de
lui donner l'impression que cette
affaire ne rev�tait � ses yeux aucune
importance; et chaque fois qu'Elyazidi
revenait � la charge, son interlocuteur
esquivait la difficult�.
Mais, � force de patience,
l'entretien a fini par prendre son cours
normal; et le directeur des
renseignements a d�clar� que le
gouvernement du protectorat a promis aux
Berb�res de tout mettre en oeuvre pour
sauvegarder leurs us et coutumes, et
qu'il n'�tait nullement question qu'il
faille � ses engagements. Elyazidi lui a
r�torqu� que les Berb�res avaient
d'autres revendications que la
conservation de traditions p�rim�es.
L�-dessus, le directeur des
renseignements a exhib� un document que
Sa Majest� le Roi a soumis � ses sujets
de souche berb�re leur donnant � choisir
entre la justice du Cadi et celle de
leurs assembl�es locales.
Et Elyazidi de r�pondre: Comment se
fait-il que les repr�sentants des tribus
qui ont fait part au Souverain de leur
volont� de rester soumis � la justice du
cadi, ont �t� conduits en prison?
Le directeur des renseignements, �
bout d'arguments, lui a r�pliqu� que les
repr�sentants de ces tribus manquent de
stabilit� et viennent chaque jour avec
de nouvelles dol�ances. Puis, il lui a
laiss� entendre que le gouvernement
n'accepte en aucune mani�re de se
soumettre aux pressions populaires. Les
Marocains, a -t-il ajout�, doivent faire
preuve de patience; le Sultan va
probablement amender lui-m�me le dahir,
mais il lui est impossible de prendre
une telle d�cision dans un climat de
tension comme celui que nous vivons
actuellement.
Elyazidi a ensuite abord� la question
de l'enseignement de l'arabe aux
Berb�res, mais la r�ponse de son
interlocuteur a �t� cat�gorique sous
pr�texte que ce sont les Berb�res
eux-m�mes qui refusent d'apprendre cette
langue.
En conclusion, on peut dire que rien
de constructif ne s'est d�gag� de cet
entretien et que le directeur des
renseignements n'a fait que dissimuler
les intentions v�ritables de la
puissance protectrice. Nous sommes
enti�rement persuad�s que m�me si
l'Autorit� du Protectorat voulait
modifier du jour au lendemain les
clauses de ce dahir et par la m�me
occasion sa politique berb�re, le
directeur des renseignements n'aurait
pas tenu un autre langage que celui
qu'il venait de tenir devant Elyazidi.
Sinon, il risquerait de se mettre dans
une position de faiblesse et donnerait
l'impression de manquer de fermet�
A l'issue de l'entretien que notre
ami Elyazidi a eu avec le directeur des
renseignements G�n�raux, nous avons tenu
une r�union pour �valuer la situation et
arr�ter les modalit�s de notre action �
venir. Malheureusement, les visites
ininterrompues nous ont emp�ch�s de
tirer les conclusions pratiques de
l'analyse � laquelle nous nous �tions
livr�s. Nous avons alors d�cid�,
Elyazidi, Omar ben Abdeljalil et
moi-m�me, de sortir de la maison pour
pouvoir poursuivre notre analyse loin de
la foule des visiteurs.
En marchant, nous avons �labor� un
plan d'action comprenant les diff�rents
points qui doivent �tre soumis � une
r�flexion approfondie tant sur le plan
int�rieur qu'en ce qui concerne la
poursuite de nos activit�s � l'�tranger.
Omar ben Abdeljalil prendra l'avis des
camarades du groupe de F�s, et chacun de
nous trois s'est engag� � �tudier les
voies et moyens qu'il conviendra
d'adopter, d'abord dans le secret de sa
conscience, avant de soumettre les
conclusions de ses r�flexions � l'examen
du groupe de la ville qu'il repr�sente.
Puis,les repr�sentants des diff�rentes
villes se r�uniront dans une s�ance
pl�ni�re pour d�battre des solutiions
propos�es et adopter � leur �gard une
position commune.
Nous nous sommes quitt�s sur cet
accord de principe vers minuit. C'�tait
la nuit du vendredi 22 juillet 1932.
- Fragments de notes concernant les
journ�es du 26 et du 28 juillet 1932
- Le 26 juillet 1932
Ce
jour, je suis mont� � Rabat o�
j'ai d'abord rencontr� Driss
Albnioui[12]
L'essentiel de l'entretien que
nous avons eu s'est focalis� sur
les tentatives des Fran�ais de
rallier � leur cause certaines
notabilit�s influentes
auxquelles ils se plaignaient du
refroidissement constat� dans
les rapports des gouvern�s avec
les gouvernants, et leur
demandent d'user de leur
charisme pour contribuer �
l'am�lioration de ces rapports
dont la d�gradation semble faire
t�che d'huile dans l'ensemble du
pays. Mais, lorsque ces
notabilit�s les interrogeaient
sur la question berb�re, ils se
contentaient de r�pondre qu'il
n'�tait pas dans leurs
intentions de s'y int�resser, du
moment que les d�cisions
concernant cette affaire ont
d�j� �t� prises conform�ment au
voeu des Berb�res eux-m�mes.
Ensuite, j'ai rejoint
Elyazidi au jardin public. Notre
entretien a port� sur deux
informations contradictoires
concernant les �v�nements de
F�s:
La premi�re fait �tat de ce
que la jeunesse fassie venait de
commettre un avocat pour assurer
la d�fense de Brahim Elwazzani,
et que cet avocat aurait demand�
au gouvernement fran�ais de
faire pression sur le r�sident
g�n�ral de France � Rabat pour
qu'il proc�de � l'�largissement
de l'int�ress� qui avait besoin
de soins hospitaliers. En effet,
la rumeur de son admission �
l'h�pital s'est vite r�pandue,
tandis qu'une autre rumeur le
donnait pour mort.
La seconde est que Brahim
Elwazzani, apr�s avoir longtemps
r�sist� aux pressions exerc�es
sur lui pour livrer les noms de
ses compagnons, aurait fini par
avouer les liens qu'il
entretenait avec chacun d'eux.
Il aurait d�clar� recevoir les
tracts par l'interm�diaire de
M�kouar qui �tait prot�g�
anglais, que celui-ci les
recevait � son tour par le biais
de Haj M'hammed Bennouna de
T�touan et, remontant la
fili�re, il aurait dit que les
tracts �taient con�us et
r�alis�s � Gen�ve par Mohammed
Mekki Naciri et Mohammed Hassan
Elwazzani, qui les
transmettaient � Ahmed Balafrej
� Paris, lequel se chargeait de
les exp�dier � T�touan. J'ai
aussit�t fait savoir � Elyazidi
qu'une telle rumeur �tait sans
fondement et relevait de la pure
calomnie. Les tracts
n'empruntaient gu�re le circuit
dont on attribuait l'aveu �
Brahim Elwazzani. C'est encore
un de ces bobards que le
gouvernement diffuse quand il
envisage d'atteindre un but
pr�cis. On ne peut donc lui
accorder aucune cr�dibilit�.
Notre ami Elwazzani n'entretient
aucun rapport avec l'�tranger et
ignore totalement l'existence de
correspondants qui op�rent sur
l'�tranger � partir du Maroc.
Lorsque nous sommes arriv�s
au domicile d'Elyazidi, nous
nous sommes mutuellement
inform�s sur les d�veloppements
de l'affaire du dahir du 16 mai
1930. J'ai attir� son attention
sur le fait que ceux qui
venaient d'�tre amnisti�s se
seraient engag�s � renoncer �
poursuivre la lutte avec leurs
camarades qui, eux, continuent
de tenir ferme � leurs
principes. Elyazidi m'a inform�
� son tour, qu'il s'�tait rendu
chez le chef de la r�gion civile
de Rabat pour en savoir plus sur
les intentions du gouvernement
du protectorat en ce qui
concerne l'affaire du dahir
berb�re, mais celui-ci s'est
refus� de lui dire plus que ce
que lui avait d�clar� le
directeur des renseignements
g�n�raux.
Elyazidi m'a alors avou�
qu'il ignorait tout des
�v�nements qui se sont produits
en son absence au Maroc et �
l'�tranger. Je lui ai dress� un
tableau en miniature de ce qui
s'est pass� � Sal� ainsi que des
activit�s de la jeunesse slaouie
et lui ai conseill� de se r�unir
en t�te-�-t�te avec Driss
Albinioui qui d�tient des
informations de premi�re main
sur les �v�nements intervenus �
Rabat, et de prendre attache
avec notre ami El Fassi en ce
qui concerne la ville de F�s.
Puis, nous avons convenu de
poursuivre la r�flexion sur la
question berb�re; et au retour
de notre ami El Fassi, nous
prendrons une d�cision
d�finitive au sujet des actions
� entreprendre au Maroc et �
l'�tranger. Je lui ai �galement
sugg�r� d'arr�ter tout dialogue
avec les repr�sentants du
gouvernement du protectorat
jusqu'au voyage du r�sident
g�n�ral [13]
en France. S'il est limog� ou
simplement relev� de ses
fonctions, nous saurons que le
r�cent gouvernement fran�ais est
soit d�cid� � changer
compl�tement de tactique, soit
au moins r�solu � revoir ses
moyens d'intervention au Maroc
en y apportant du nouveau. Mais
si le r�sident g�n�ral est
maintenu dans ses fonctions,
nous saurons que les intentions
de la France demeurent
inchang�es. Il nous appartiendra
alors d'agir en cons�quence en
recourant � des moyens de lutte
appropri�s. Nous ne devons pas
perdre de vue qu'il est de notre
devoir de saisir cette occasion
pour donner en France une large
diffusion aux �v�nements de F�s,
au mouvement de protestation
contre le dahir berb�re et au
cahier des revendications du
peuple marocain.
- Le 28 juillet 1932
L'Affaire Elwazzani
Hier, notre ami Hachmi Filali
est arriv� � Sal�. Nous avons
abord� avec lui plusieurs
questions parmi lesquelles
l'affaire Elwazzani n'�tait pas
des moindres. Il nous a inform�s
que pendant les trois premiers
jours de sa d�tention, les
autorit�s ont essay� de faire
pression sur lui pour qu'il leur
livre le nom de l'autre personne
qui distribuait les tracts avec
lui. Mais, devant son
obstination � garder le silence,
elles ont d�cid� d'accompagner
son interrogatoire de coups de
fouet.
Apr�s la comparution devant
le pacha et la sortie des
fonctionnaires � l'issue de
l'audience, seuls restaient sur
les lieux les agents de s�curit�
charg�s d'infliger au "coupable"
le cruel ch�timent du fouet, en
pr�sence du pacha en personne.
Mais il avait une force de
caract�re qui l'aidait �
r�sister � tous les s�vices
corporels qu'il subissait en
refusant de faire les aveux
qu'on cherchait � lui extorquer.
Malgr� toutes les mesures prises
par les autorit�s pour �viter
que le ch�timent du fouet
inflig� � l'int�ress� ne
s'�bruite sur la place publique,
la nouvelle en a �t� propag�e
dans tous les coins de la ville
avec la rapidit� de l'�clair et
� l'instant m�me o� il �tait
impitoyablement ch�ti�. Les
esprits �taient en proie � une
profonde agitation.
L'indignation de la population,
toutes classes confondues, �tait
� son comble. Mais, gr�ce � une
force de volont� in�branlable et
un esprit de sacrifice � toute
�preuve, Elwazzani s'est
comport� d'une mani�re
exemplaire qui faisait honneur �
la jeunesse marocaine en ne se
laissant pas intimider par les
moyens mis en oeuvre pour le
faire parler. Ni les coups de
fouet qu'il recevait sur toutes
les parties de son corps ni les
coups qu'on lui ass�nait � la
t�te et au visage n'ont eu
raison de sa volont� de garder
le silence. Au demeurant, se
disait-il, advienne que pourra!
Il lui a �t� sugg�r� de cr�er
de toutes pi�ces des motifs
d'accusation pouvant conduire �
l'arrestation de certains de ses
camarades. Sur un ton ironique,
il leur a r�pondu: "Si vous
tenez absolument � ce que je
d�bite des mensonges, je ne vois
personne en dehors de
vous-m�mes, contre qui je peux
me pr�valoir de ce privil�ge".
La jeunesse active de F�s a
adress� une vive protestation au
chef du gouvernement fran�ais
ainsi qu'� la Soci�t� des
Nations. Le texte de ce long
r�quisitoire a �t� repris par
une partie de la presse
internationale. Sa diffusion a
�t� assur�e aupr�s de toutes les
chancelleries. De plus, un
avocat a �t� commis � Paris pour
assurer la d�fense de
"l'inculp�". Il a aussit�t
adress� un t�l�gramme au
r�sident g�n�ral de France �
Rabat pour lui demander de
mettre � sa disposition les
informations concernant les
faits reproch�s � son client
pour lui permettre de constituer
le dossier de sa d�fense.
Nous verrons bien ce que les
prochains jours vont apporter de
nouveau dans cette affaire.
Affaire Abdellatif Sbihi
Le 13 juillet, une mesure
d'amnistie a �t� prise en faveur
d'Abdellatif Sbihi et de
Mohammed Elyazidi. Mais le chef
de la r�gion de Tiznit a attendu
jusqu'au 19 courant pour
notifier cette mesure �
Abdellatif, ayant mis cette
semaine � profit pour s'adonner
� des louvoiements sans fin ,
pensant qu'il pouvait le
convaincre � se distancer du
mouvement de protestation contre
le dahir berb�re. Mais,
Abdellatif opposait � toutes ces
tentatives un refus cat�gorique
et les accueillait avec autant
d'agacement que de d�pit.
Finalement, il a d�clar� au chef
de r�gion qu'il comptait
poursuivre par les moyens l�gaux
son action d'opposition � la
politique berb�re et qu'il
n'entrait pas dans ses
intentions de nuire � l'ordre
public.
Abdellatif a charg� un
�missaire de prendre attache
avec son fr�re � Casablanca pour
s'informer sur le cours des
�v�nements et v�rifier si ses
camarades ont renonc� �
poursuivre la lutte comme cel� a
�t� avanc� par le chef de
r�gion, qui lui a fait miroiter
en contreparrtie de cette
renonciation un poste de
responsabilit� au sein de
l'appareil administratif.
Lorsque le fr�re d'Abdellatif a
appris ce que l'�missaire venait
de lui communiquer, il est
rentr� s�ance tenante � Sal�. Je
me suis r�uni avec lui et lui ai
promis d'�lucider cette affaire
avec notre ami Elyazidi. Je me
suis rendu le soir m�me au
domicile de ce dernier � Rabat;
et il m'a assur� qu'il n'a
jamais �t� question qu'il
renonce � la poursuite de la
lutte et que, tout au plus, il a
promis � ses ge�liers d'�tudier
la question berb�re sur le plan
juridique et s'est engag� � ne
rien entreprendre qui f�t de
nature � troubler l'ordre
public. De plus, il m'a fait
savoir que, depuis le jour de sa
lib�ration, les Fran�ais n'ont
cess� de le harceler avec des
propositions de recrutement, et
que, pour toute r�ponse, il leur
disait qu'il avait besoin de
beaucoup de repos apr�s toutes
les �preuves qu'il venait de
subir.
De retour � Sal�, j'ai
inform� Abou Bakr Sbihi de
l'entretien que je venais
d'avoir avec Elyazidi, et nous
avons convenu qu'il rapporte mot
pour mot les propos de ce
dernier � son fr�re et qu'il lui
demande de nous fixer sur la
position qu'il comptera adopter.
La r�ponse d'Abdellatif ne s'est
pas laiss�e attendre. Il s'est
tout de suite rang� sur la fa�on
de voir d'Elyazidi en d�clarant
au chef de r�gion: "Nos
camarades sont r�solus �
poursuivre la lutte par les
moyens l�gaux, et estiment que
la question du recrutement est
une affaire personnelle qui n'a
rien � voir avec la cause
patriotique pour laquelle nous
avons �t� condamn�s � l'exil".
C'est ainsi qu'Abdellatif est
rest� � Tiznit, et il nous �tait
impossible, dans ces
circonstances, de pr�dire
comment les �v�nements allaient
�voluer.
- Fragments de notes concernant les
�v�nements de 1933 et 1934
En plus de
la revue "Almaghrib" en langue fran�aise
qui paraissait � Paris, d'autres
journaux ont vu le jour en �t� 1933:
c'�tait le cas de "l'Action du Peuple"
qui �tait publi� � F�s, de la revue
"Assalam" et des journaux "Al Hayat" et
"Al Houria" de T�touan. Ils
remplissaient pratiquement le r�le
imparti aux journaux d'opposition et ne
manquaient pas de critiquer s�v�rement
la politique de l'administration directe
que la puissance protectrice tentait
d'instaurer au Maroc. Ils �taient
encourag�s dans cette voie par la prise
de conscience identitaire et le r�veil
de la fibre patriotique du peuple
marocain d'une part, et par le conflit
qui opposait le r�sident g�n�ral Henri
Ponsot � la colonie fran�aise �tablie au
Maroc d'autre part. Ils savaient
qu'Henri Ponsot �tait favorable � une
r�forme radicale des structures de
l'appareil administratif, malgr� le
silence qui entourait tout ce qu'il
entreprenait. Certes, il ne combattait
pas les responsables du Mouvement
National, mais il s'abstenait de donner
suite � leurs revendications. Il
accueillait avec la m�me r�serve les
agissements de la colonie fran�aise et
opposait une fin de non recevoir aux
tentatives de la Direction des Affaires
Indig�nes d'interdire les journaux
nationaux et d'adopter une politique de
r�pression � l'�gard des repr�sentants
du Mouvement National.
D�but mai, la Direction des Affaires
Indig�nes a saisi l'occasion du
d�placement d'Henri Ponsot � Paris pour
ourdir un complot des plus saugrenus,
mais qui lui a r�ussi malgr� sa
stupidit�.Elle n'a pas admis que S.M. le
Sultan f�t accueilli avec autant d'enthousisme
lors de la visite qu'il a effectu�e �
F�s, o� il a �t� re�u � l'entr�e de la
ville par une importante d�l�gation du
Mouvement National. Elle n'a pas tol�r�
l'accueil chaleureux qui a �t� r�serv�
au Souverain par une mar�e humaine qui
l'ovationnait dans une atmosph�re de
liesse sans pr�c�dent en donnant libre
cours � ses sentiments patriotiques tout
en manifestant son attachement � la
personne du Roi en tant que symb�le des
valeurs de libert� et garant de l'unit�
nationale. Devant les sc�nes de sursaut
du nationalisme, et sous pr�texte que le
drapeau fran�ais aurait �t� d�chir� par
quelque manifestant, la Direction des
Affaires Indig�nes a aussit�t proc�d� �
l'interdiction de "l'Action du Peuple"
et mis un terme � l'entr�e des journaux
de T�touan en z�ne sud. Le Souverain a
alors pris la d�cision d'interrompre son
voyage � F�s o� il comptait s�journer
pendant tout un mois comme le voulait la
tradition. Il a pris cette d�cision en
guise de protestation contre les
agissements de l'autorit� coloniale.
A son retour � Rabat, SM. le Sultan a
fait recevoir une d�l�gation compos�e d'Allal
El Fassi, Hassan Elwazzani, Omar ben
Abdeljalil et Mekki Naciri, par le Grand
Vizir qui leur a fait part de la grande
satisfaction que le Souverain �prouvait
� leur �gard et qu'ils �taient dans ses
tr�s bonnes gr�ces.
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